L’audiance à huit clos 27 décembre
Je me sentais tellement dégradé, tellement humilié. Ce genre de préoccupations qui germaient parfois dans ma tête, avait bien peu d’importance compte-tenu de l’enjeu qui m’amenait ici, je vous l’accorde bien volontiers, j’avais le mérite d’en prendre conscience, mais les pertes de liberté et d’intimité rencontrées mainte et mainte fois dans les milieux médicaux, étaient des éléments qui perturbaient énormément ma nature d’homme pudique, et je ne pouvais rien y changer.
Tout ceci avait au moins l’avantage de détourner provisoirement mes peurs, m’aidant ainsi à canaliser plus facilement ma tension nerveuse.
Mes mouvements étaient un peu malhabiles à cause de la gêne provoquée par l’aiguille et le tuyau du cathéter, mais j’avais réussi à m’allonger sur la table d’examen sans aide extérieure.
« Mettez vos mains au dessus de votre tête et descendez un peu vos fesses, surélevés vos jambes en les posant sur le coussin. »
De par mon orientation, je pouvais voir à travers la vitre, le radiologiste qui planchait devant son écran d’ordinateur sur un dossier qui était probablement celui du grand homme sec et barbu qui m’avait précédé. Je sentis mes intestins se contracter en pensant que très vite il passerait à l’étude de mon propre dossier.
Les petits repères lumineux qui reflétaient sur mon corps m’indiquaient que j’allais être bientôt tout seul dans la pièce et que l’examen allait débuter. La table se déplaça dans le large anneau, en y faisant passer mon corps des pieds jusqu’à la tête, puis marqua un temps d’arrêt.
J’entendis les premières consignes qui m’invitèrent à gonfler mes poumons et à stopper ma respiration. La table se remit en mouvement en sens inverse, puis on m’invita à reprendre ma respiration. L’opération fut répéter une seconde fois de la même manière, et la machine marqua un autre temps d’arrêt.
« Je vais vous injecter le produit de contraste, c’est presque terminé. »
Je connaissais la procédure sur le bout des doigts, je savais par exemple qu’après l’injection une impression de chaleur allait naître au niveau du coxis, en se diffusant ensuite à l’ensemble de mon organisme et que la machine allait reprendre son travail. Le tube à rayons X et le détecteur associé allaient tourner autour de moi à toute vitesse découpant pour la 35ème fois mon anatomie en des dizaines de clichés qui allaient une fois de plus parler, interdisant ainsi au vilain lutin, de cacher ses éventuelles nouvelles mauvaises intentions.
« Ça va monsieur Gautier ? »
« Oui impeccable. »
« Je vais vous libérer »
Elle fit descendre lentement la table d’examen pour que je puisse poser les pieds par terre. Elle dut m’aider à me redresser, car j’étais complètement ankylosé.
« Il faudra boire abondamment monsieur Gautier, pour bien éliminer le produit. »
Mon interlocutrice faisait bien de me le rappeler, car lorsque je n’avais pas soif, comme c’était d’ailleurs le cas au moment où elle me parlait, j’avais tendance à oublier d’avaler régulièrement un grand verre d’eau.
De toute cette chienlit que la maladie avait provoqué dans mon existence, c’était l’épreuve de ‘’ l’audience à huit clos’’ que je redoutais le plus, et j’étais sur le point de la vivre.
« Allez-y. Je vous raccompagne jusqu’à votre cabine, si vous le voulez bien. Je vais vous débarrasser de cet encombrant matériel. »
L’assistante technique médicale de radiologie, tel était son grade, je venais l’apprendre en lisant la petite étiquette épinglée sur se blouse, retira ma perfusion en un clin d’œil, sans que je ressente la moindre douleur.
« Vous pouvez vous rhabiller, ensuite vous patienterez un peu, le médecin viendra vous communiquer les résultats. »
Je sentis le rouge me monter au visage, aux oreilles et dans le cou, comme si une poche d’eau s’était rompue laissant se répandre le liquide chaud à l’intérieur de ma tête. A l’inverse le reste de mon corps était plutôt transi.
Gérer un surplus de stress, sans se laisser déborder, voilà à quelle épreuve il fallait se confronter. J’étais loin d’être un seigneur dans l’art de la maîtrise de soi, et huit ans d’expérience n’y changeaient rien.
Nous étions en octobre, j’avais donc un peu plus de vêtements à revêtir qu’en été. Je prenais bien mon temps à les enfiler. Adepte des sabots ou des chaussures sans lacets, je pestais de devoir porter mes ‘Caterpillar’ qu’il fallait délacer, enfiler avec un chausse-pied, relacer, avant de pouvoir débuter ma journée. Cette fois ‘’la manipulation’’ habituellement tant décriée, me rendait un bien grand service, car je voulais rester le moins longtemps possible à ne rien faire d’autre qu’à attendre.